Un vieux débat : la chimie et la nature...
Au grand dam des chimistes, l'idée d'une quasi-incompatibilité entre « nature » et « chimie » s'est répandue chez les non-scientifiques. Au-delà des arguments ou des contre-arguments, le débat est progressivement devenu caduc à cause des questions de société qui apparaissent aujourd'hui. Car l'accroissement spectaculaire de la population humaine au XXe et XXIe siècle signifie que l'activité humaine menace maintenant la nature en termes de qualité, de santé et de ressources. Et comment agir sur la nature pour contrôler cette situation ? Par la chimie bien sûr - qui sait mettre en œuvre et contrôler les transformations de la matière.
Dès 1988 dans notre revue (n°242) Christian Seigneur, promo 1974, écrivait un article « Le rôle de l’ingénieur chimiste dans la pollution atmosphérique » dont nous donnons quelques extraits : «Les accidents de Seveso en 1976 et de Bhopal en Inde en 1984 ont clairement démontré les risques énormes qui peuvent être associés à l’industrie chimique quand les précautions nécessaires pour assurer la sécurité et la santé des populations ne sont pas prises, à des degrés moindres la pollution des grandes métropoles, la mort des lacs et des forêts en Europe du Nord et en Amérique du Nord… ».
Au cours des 20 dernières années d’énormes progrès ont été réalisés dans la compréhension des phénomènes physico-chimiques qui gouvernent la pollution atmosphérique…
L’ingénieur chimiste joue un rôle primordial dans le développement et l’application des mesures de pollution, l’analyse et l’interprétation de ces mesures, la recherche fondamentale en laboratoire de la cinétique, la thermodynamique et des mécanismes de réactions chimiques atmosphériques.
Il doit par conséquent être un acteur à part entière dans la recherche de solutions. Ces problèmes ne peuvent plus être ignorés, comme le montre la pollution des pluies acides, la pollution urbaine, la destruction de la couche d’ozone stratosphérique...
Il y a plus de 20 ans, en Mars 2000 n° 288, notre ami Serge Lécolier écrivait un article « Nature et Chimie » plein d’humour.
« Nature et chimie » : deux mots que le public oppose et qui pourtant désignent une même réalité, la matière.
C’est une évidence pour le chimiste, une ignorance pour une majorité de non-voyants dont la cécité est soigneusement entretenue par les médias. Par essence, ce qui est « naturel » est bon, ce qui est « chimique » est mauvais... Qu’est-ce que le naturel ? Est-on condamné à le voir revenir au galop dans nos villes, nos maisons, nos assiettes et jusque dans nos lits ? Ah les villes sans voitures, sans usines, où règne la petite reine, les maisons en torchis au toit de chaume, le chauffage au feu de bois, les bons légumes sans engrais ni pesticides, le doux matelas de paille et la couette en duvet de canard… quel paradis naturel, sans oublier un petit joint de bétel pour planer avant de s’endormir…
Comment définir le naturel ? On pourrait dire « Tout ce qui n’a pas été transformé ou modifié par l’homme ». Que reste-il alors de naturel dans le monde moderne ? Bien peu de choses en vérité… La chimie apprivoise et domestique le naturel.
Quelques exemples :
En santé : L’acide ascorbique ou vitamine C est « naturelle » dans les citrons, mais elle est obtenue en 6 étapes à partir du glucose…
Pour les parfums : C’est le domaine où les produits odorants d’origine naturelle ont régné en maître depuis les débuts de la parfumerie et son développement extraordinaire au XIXe siècle. Mais l’analyse (chromato, spectro…) a permis d’élucider leur composition, et le chimiste organicien a pu synthétiser des molécules de structure voisine possédant les mêmes propriétés olfactives, par exemple la synthèse de l’hédione en 1960 dont l’odeur est celle de la fleur de jasmin mais dont le prix est 300 fois inférieur…
Pour les arômes alimentaires : Tels que les édulcorants… la vanilline… La Société Givaudan a réalisé plus de 500 arômes artificiels (artichaut, épinard, asperge, chocolat, arôme de viande rôtie, etc.) largement utilisés dans les plats cuisinés industriels…
Les matériaux : Un exemple de matériau naturel qui a connu un développement extraordinaire après la découverte par les chimistes des traitements qui ont ouvert un vaste champ d’applications: le caoutchouc résine de l’hévéa qui, sans la découverte de la vulcanisation par le soufre puis, plus tard, de copolymérisation, aurait vu son utilisation limitée à la fabrication de préservatifs et encore…
Et Serge conclut : « La nature sait recycler les sous-produits de ses réactions, éliminer ses déchets ; l’homme commence seulement… Les réactions chimiques nécessitent souvent des conditions dures...
La nature agit en douceur, une sorte de « chimie molle », une biochimie... ».
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